L’éducation thérapeutique à la rescousse du patient.
Geneviève Aubouy – Article paru dans Santé conjuguée n°97 – décembre 2021
Education thérapeutique du patient et maladies chroniques : un mariage d’amour ou de raison ? Sur quels leviers s’appuyer lorsque la maladie s’invite au long cours dans le parcours de vie des patients dits « chroniques » ?
C’est dans l’air du temps. Que ce soit au niveau politique avec des arrêtés wallons organisant le Plan prévention promotion de la santé, avec les projets européens Interreg [1], avec les projets fédéraux Integreo [2] ou encore la vision de certaines mutuelles [3] considérant la santé à travers le prisme du parcours de vie des citoyens… nous observons çà et là dans le monde de la santé des initiatives dont l’objectif est de rééquilibrer les forces qui la composent. Il s’agit de mettre en lumière « l’autre » volet de la santé : le « préventif », et plus seulement le « curatif ». Dans cette constellation du préventif, de nombreux concepts se côtoient, voire se chevauchent : promotion de la santé, éducation du patient, littératie en santé, déterminants de santé… Quel dédale ! Mais qu’est-ce que l’éducation thérapeutique du patient ? Quelle est sa place dans la constellation de la santé ? En quoi constitue-t-elle un levier positif pour des personnes atteintes de maladies chroniques ?
Une démarche de soutien
Déjà largement développée et reconnue structurellement en France, l’éducation thérapeutique du patient l’est encore trop peu en Belgique. Selon la définition du rapport OMS-Europe publié en 1996, l’éducation thérapeutique du patient « vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. Elle comprend des activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie. Ceci a pour but de les aider, ainsi que leurs familles, à comprendre leur maladie et leur traitement, à collaborer ensemble et à assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en charge, dans le but de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie » [4].
Dit concrètement, cette démarche implique véritablement le patient et son entourage dans l’apprentissage et/ou le maintien de compétences en lien avec la maladie. L’éducation thérapeutique du patient vise à atteindre une réelle qualité de vie, reposant en partie sur la « mainmise » que celui-ci acquiert sur sa maladie. Plus encore, elle repose sur le postulat que toute personne a le potentiel pour prendre des décisions par rapport à sa santé. Le paradigme de « prise en soin » évolue : les rôles et la relation entre professionnels et patients se transforment, la personne, son entourage sont considérés comme de véritables « acteurs de santé ». En effet, c’est au patient, accompagné par le soignant (et non l’inverse !), que revient l’établissement de ses propres normes de santé : en s’autorégulant, il devient pleinement capable de participer, voire de poser des décisions de santé le concernant.
Se former et s’outiller
L’éducation thérapeutique du patient est au cœur du Centre d’éducation du patient dont la principale mission consiste à offrir un soutien méthodologique et technique lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des programmes d’information et d’éducation du patient. Par « patient », il faut aussi bien entendre des patients lambda atteints d’une affection ponctuelle que des patients « chroniques ».
La formation de six journées organisée par le Centre d’éducation du patient et dispensée par l’Institut de perfectionnement en communication et éducation médicale (IPCEM) [5] est ouverte aux professionnels de la santé et du secteur médico-social. On y aborde les fondements de l’ETP (via le diagnostic éducatif, le contrat thérapeutique avec le patient…). On y voit aussi les stratégies d’éducation que peuvent déployer les équipes, au départ des compétences des patients, d’objectifs pédagogiques et d’outils d’apprentissage adéquats. Enfin, l’évaluation des projets ainsi impulsés repose sur le bilan de l’apprentissage des patients, l’application de leurs nouvelles compétences au quotidien, via un dossier complet d’éducation thérapeutique, incluant leur suivi. Fidèle aux normes et recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, cette formation peut en outre se poursuivre durant sept journées complémentaires organisées par l’Université de Liège (en lien avec un consortium de hautes écoles) et donne alors lieu à un certificat en éducation thérapeutique du patien [6].
Entre complexité et incertitude
« Cela demande du courage d’être diabétique. Tout d’abord, il faut arriver à l’accepter. Ensuite, il faut se dire : bon, je suis diabétique, je dois vivre avec, je n’ai pas le choix. Il faut que je me soigne et que je fasse ce que j’ai à faire… Ce qui m’a motivée à prendre en charge ma maladie et à me soigner, c’est la peur des complications », témoigne Lucienne [7], 66 ans, diabétique depuis vingt ans.
Comme le souligne Pierre-Yves Traynard, médecin coordinateur du réseau Paris-Diabète et formateur en éducation thérapeutique du patient, par définition, il serait réducteur de considérer la maladie chronique sous le seul angle bioclinique. Elle déteint sur d’autres aspects de la vie des patients. Ses stratégies d’intervention sont alors complexifiées. Les informations utiles doivent s’accompagner d’une expression, par le patient « sur le vécu de la maladie, la compréhension des comportements de santé (…) pour proposer une démarche d’éducation et d’accompagnement qui ait du sens » [8]. Par exemple, considérer l’inobservance à un traitement comme le simple reflet d’un non-suivi des prescriptions médicales est une erreur. Parce que cela occulte la perception qu’ont les patients de leurs traitements. En réalité, bien souvent, les soignants surestiment la perception qu’ils ont aussi de leurs conseils. C’est ainsi que, d’après le Dr Traynard, les deux tiers des événements de santé indésirables sont directement imputables à des défauts de compréhension, à des méconnaissances chez les patients de l’utilité de leur traitement et de leurs modes d’action.
Qui dit maladie au long cours dit bien souvent lassitude de devoir toujours être vigilant par rapport à sa santé. À cela s’ajoute la méconnaissance des signaux d’alerte, la difficulté à nommer ses médicaments, à les relier à la bonne pathologie. En effet, il n’est pas rare que les patients cumulent plusieurs pathologies chroniques (diabète, hypertension artérielle, hypercholestérolémie…), ce qui représente alors une gageure pour les modules éducatifs d’ETP. Dans la vie quotidienne, comment assurer un bon suivi de sa santé dans des circonstances « inhabituelles » telles que les voyages, les sorties, le week-end ? Autrement dit, l’exemple – classique – de la non-observance thérapeutique recèle en réalité bien d’autres aspects que la seule compréhension des informations médicales.
C’est en cela que l’éducation thérapeutique du patient est un atout, car elle s’enrichit aussi d’une anamnèse psychologique (réactions face à la maladie…) et sociale (représentations, soutien social, sentiment d’auto-efficacité…), mais aussi pédagogique (connaissances, pratique des gestes, capacité de décision…) en plus des données médicales. Et c’est en cela qu’il est essentiel de nouer un partenariat avec le patient, pour que celui-ci soit en mesure de dire son vécu de la maladie dans son quotidien. Proposer une démarche éducative qui ait du sens pour le patient, c’est aussi recueillir des données qui vont permettre de lui proposer des activités éducatives adaptées : « On constate souvent qu’il suffit que le soignant explique ce qu’il va faire, ce qu’il cherche, ce dont il a besoin pour mieux comprendre le patient, pour que ce dernier lui donne les éléments clés », dit le Dr Traynard.
Des zones en friche
L’éducation thérapeutique du patient porte en elle plusieurs dimensions innovantes qui mettent en lumière des zones aveugles, des enjeux à éclaircir. Ainsi, elle est une démarche porteuse auprès de groupes de patients, voire de manière individuelle. Les projets Integreo le démontrent : c’est par un apprentissage « sur mesure » que les personnes vulnérables (re)trouvent ce « pouvoir d’agir » sur leurs pathologies, via des groupes restreints de pairs, épaulés par des professionnels formés. Mais l’éducation thérapeutique du patient est aussi évolutive : le suivi éducatif du patient nécessite la création d’un lien solide avec l’équipe de professionnels, surtout dans le cadre de maladies chroniques. Des compétences trop peu mobilisées par le patient ou encore l’évolution de la maladie nécessitent de revoir le « contrat éducatif » passé entre le patient et l’équipe. Enfin, l’ETP, par le décentrement qu’elle invite à faire sur les patients, contribue à visibiliser leur entourage. C’est une révolution, car ce troisième sommet du triangle, souvent amené à intervenir aux côtés des professionnels et du patient, assume des rôles concourant à la qualité de vie du malade.
Parler de la qualité de vie d’un bénéficiaire ou d’un malade au long cours implique de considérer l’ensemble des professionnels qui gravitent autour de lui et de ses proches : on n’y trouve pas que des soignants, loin de là ! Les professionnels de l’aide et du social sont autant d’acteurs qui participent avec plus ou moins d’intensité à l’accompagnement de ces personnes. Or à ce jour, l’éducation thérapeutique du patient reste centrée sur des soignants (para)médicaux. C’est utile, car il reste fort à faire pour qu’elle fasse partie intégrante de leur cursus de base et pour qu’elle soit impulsée dans leur pratique quotidienne. Mais comment y sensibiliser les autres corps de métiers ? En partant de leurs pratiques, en leur démontrant que leur travail participe de près ou de loin à une démarche de rétablissement de la santé.
Cet enjeu d’une éducation thérapeutique du patient ouverte à d’autres professionnels pose alors la question de son contexte, du lieu dans lequel elle se met en place. Par essence, l’ETP requiert une proximité humaine, relationnelle et géographique avec les patients. Dès lors, peut-elle se concevoir hors des établissements de soins, hors des structures d’accueil et d’hébergement ? À ce jour, cela parait difficilement conciliable avec l’organisation des soins de santé en Belgique. Des projets pilotes évoquent une éducation thérapeutique du patient « de ville ». Il s’agirait d’une démarche d’éducation thérapeutique centrée sur la proximité directe avec le public, en lien étroit avec le cadre de vie du patient (quartier, village…). Elle rejoint en cela les principes de la santé communautaire dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Ceci étant, cette idée, séduisante en France, peut-elle être transposée chez nous ? Ceci pose la question de sa reconnaissance et de son soutien (structurel, dans les formations, financier, par une révision de la nomenclature des soins…) encore à étayer par les politiques (fédérales et fédérées).
L’ETP : à la croisée de diverses notions de la santé
Le Centre d’éducation du patient travaille depuis des années à la connaissance et à la diffusion de cet outil puissant qu’est l’éducation thérapeutique du patient. Solide, déclinée en projets précis, elle rejoint pleinement les enjeux d’une meilleure littératie en santé pour des personnes vulnérables. Mais elle ne s’improvise pas : elle repose sur des principes, des prérequis, des postures et des outils professionnels (diagnostic, autosoins, contrat d’apprentissage…) à acquérir. Les défis à relever sont encore légion. On sent un frémissement dans la marmite des soins de santé, mais il convient de propager cette « épidémie positive » : pour les personnes qui souffrent de maladies (chroniques ou pas), pour les professionnels trop souvent découragés par la perte de contact et de sens dans leurs métiers, pour encourager les patients partenaires apportant leur vision et leur propre expertise au sein des cursus des soignants, pour viabiliser les soins de santé de demain en irriguant la dimension préventive et éviter le « tout curatif ». Alors, mariage d’amour ou de raison entre l’éducation thérapeutique du patient et les malades chroniques ? Le Centre d’éducation du patient répond : les deux, indéniablement !
[2] Voir p. 40 de ce numéro.
[3] Voir l’interview d’E. Degryse, vice-présidente de la Mutualité chrétienne, Santé conjuguée n° 94, mars 2021.
[4] www.euro.who.int
[5] Structure française spécialisée dans la formation des soignants à l’éducation thérapeutique des patients atteints de maladies chroniques.
[6] Plus d’infos sur www.educationdupatient.be et www.chuliege.be
[7] Témoignage extrait du site de la Mutualité chrétienne consacré aux maladies chroniques, www.mc.be